Elle errait dans la gare en attendant son train. Le temps n’avait pas de prise sur la voyageuse qui mettait les longues minutes à profit pour observer le monde qui l’entourait. Les gens ne l’intéressaient pas ; ils se ressemblaient tous. Pressés, brutaux, indifférents. Les lieux qu’elle traversait n’étaient rien de tout cela. Ils racontaient une histoire…

Un son la tira de sa rêverie architecturale. Les notes d’un piano l’attirèrent dans un hall ouvert aux courants d’airs,  proche des quais ferroviaires aériens et souterrains. La première chose qu’elle vit furent les poufs rouges occupés par des voyageurs. La présence incongrue d’un piano l’interpella. Il était bien réel, invitant les voyageurs à en jouer artistiquement et ludiquement.

Lui aussi avait des histoires à raconter.

Celle du musicien qui s’entraina  sur un morceau de Claudine Einaudi, regrettant quelques fausses notes car la partition lui échappait.

Celle de ce voyageur talentueux qui fit corps avec l’instrument le temps d’un medley.

Celle de ce passionné qui se plongea dans sa musique avec violence, et qui fut agréablement surpris quand le public l’applaudit.

Celle de ce vieux monsieur qui se jeta sur le piano sitôt que le dernier interprète le délaissa.

Celle de cet homme entre deux âges qui se délia les doigts non sans malmener le clavier.

Les pianistes s’étaient succédé et, lorsque le silence musical envahit le hall, il y fit soudain plus froid.

Une passante s’assit sur le banc du pianiste et les occupants des poufs soupirèrent, se sentant brusquement lésés. Certains quittèrent leur place, d’autres hésitèrent à en faire autant.

Une voix s’éleva soudain : « Et comment je fais pour jouer ? »

Les regards se tournèrent vers le pianiste amateur qui chassa l’importune d’un sourire et d’une plaisanterie. Il se lança dans une improvisation plus ou moins heureuse, avant de céder sa place à un musicien accompli qui régala le public d’un pot pourri dans lequel la chanson française rencontra des mélodies anglo-saxonnes pour le plus grand bonheur des auditeurs.

Hélas,  la magie s’estompa lorsque de nouveaux intervenants se présentèrent et tentèrent de s’intégrer vocalement dans la composition musicale.

Il était temps pour la voyageuse de reprendre son errance dans la gare.

#PianoEnGare – Gare de l’Est – Paris – 12 mars 2017